dites-le !

mai 3, 1997

dites-le ! , dans le hall d’une banque.

diverses sculptures-sièges étaient installées, ainsi qu’une forme de couleur jaune qui contenait un système de captation par un micro situé à l’intérieur du volume au niveau de la bouche lorsque le spectateur se situait debout devant la sculpture. celui-ci était incité par la jeune femme ou le jeune homme de l’accueil à laisser sa parole s’il le souhaitait. il était préalablement informé que ses dires seraient enregistrés et diffusés ensuite dans la rue par un haut-parleur. chaque énoncé était respectueusement offert à la rue, sans modification, et suivait le précédent. ainsi, à la fin de l’exposition, deux heures quarante de fragments de paroles furent ainsi enregistrés et envoyés dans l’espace public. si chaque phrase ou texte dit n’était pas au départ un fragment au sens où la personne qui faisait le choix de parler énonçait une parole en général concise et close, par contre l’ensemble de ces énoncés mis bout à bout devenaient fragments de la situation créée et provoquée par la démarche artistique. l’ensemble n’ayant que la fin correspondant à celle de l’exposition, et la durée n’étant déterminée que par une grande part de hasard ou de contexte incontrôlable. comme nous l’apprend dans l’un de ses cours jacques-alain miller, psychanalyste, « ce qui se dit, ce que l’on présuppose de l’autre, ce qui est (…) c’est l’écart entre ce qui se dit et ce qu’on veut dire qui laisse place à l’interprétation »9. ce qui me paraissait l’enjeu de ces pièces était, et reste, une occasion de donner la parole spontanément au spectateur par l’œuvre, comme si le faire ou l’agir n’appartenait plus à l’artiste mais au spectateur, comme si ce dernier avait besoin de s’exprimer et que l’œuvre pouvait l’y aider. dans le cadre des jeux en société en 1999 à chenôve (21), qui n’ont malheureusement pas été entretenu et ne sont plus visibles, le jeu intitulé la parole était également inscrit dans une démarche analogue. d’une autre manière, cette pratique a perduré par les expositions qui ont suivi, où un lieu de communication par des sculptures-mobilier était le centre de l’exposition (par exemple à la galerie claire burrus à paris en 1994. l’intention était la même avec les tableaux noirs, les confettis post-it, ou les pièces réalisées avec des créateurs d’autres disciplines : donner la place et la parole à l’autre. l’interprétation que jacques-alain miller évoque est la même que celle rencontrée dans l’œuvre. lors des deux expositions, ce qui a été dit était le plus souvent direct et spontané, en passant par des affirmations, des déclamations, des petites annonces, des blagues ou des poésies. ce qui se dit est intéressant au titre de ce que nous pensons au quotidien. l’œuvre parle ainsi d’elle-même. qu’a-t-elle à dire ? n’est-elle qu’un moyen pour le spectateur ou le créateur, quel qu’il soit ? serait-elle aussi une pièce détachée comme jacques-alain miller envisage ce terme ?

la question est aussi celle du non-choix, comme pour les pièces réalisées avec les auteurs d’autres disciplines – ce qui est aussi fondamental pour les scénographies -. l’artiste ne contrôle pas, il propose. il ne choisit pas, il laisse une première interprétation, disons active, à un autre ou d’autres. ainsi les interrogations concernant l’interprétation de chacun par le goût et la culture des autres sont brouillées à plusieurs niveaux. ce non-choix n’est pas remis au hasard, mais à une relation extérieure à l’artiste, qui ne crée pas en solitaire, une œuvre close et finie.

ce parallèle entre la parole, ou les dires comme fragments, et les œuvres, m’intéresse à plus d’un titre.  l’œuvre peut vouloir dire, dénoncer, affirmer ou expliquer, tout en gardant une plasticité, ce que, entre autres, les œuvres conceptuelles ont réalisées. elles peuvent également uniquement provoquer une émotion ou une réaction. ou bien encore, elles offrent une part d’inexprimable, ce qui les constitue peut-être toutes. mais l’œuvre d’un artiste n’est que très rarement une seule pièce, mais davantage un ensemble de réalisations artistiques. le spectateur parle en général de ce que l’artiste veut dire, ce qui revient à formuler : ce que l’œuvre dit ou exprime, comme s’il y avait un objet pour chaque œuvre. mais il s’agit plutôt d’un langage qui semble bien être singulier et unique. ce langage propre aux arts plastiques, a débordé sur les autres disciplines comme la danse, ou le cirque, au XXème siècle. la parole est entrée dans les œuvres d’art, comme ensuite dans la danse depuis quelques années – différemment qu’au début du XXème siècle-. dans la musique elle était présente depuis des siècles. ou bien encore des domaines, comme le son ou le cinéma, ont rejoint celui des arts plastiques. le besoin d’oralité a à voir avec ces écarts de langages;

9/ jacques-alain miller, orientation lacanienne III, 6, pièces détachées, première séance du cours, paris, mercredi 17 novembre 2004. psicoanalisisdigital.wordpress.com/2012/06/

extrait des écrits (non publiés) de véronique verstraete